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LA NORIA n° 6 -   

ZAPPING, PHOTOGRAPHIE ET METAPHYSIQUE

 

 

 

 

         Jean Dieuzaide affirme avec force que la vertu première du photographe doit être l'humilité.

 

          Il me semble après réflexion que l'humilité ne va pas sans une autre qualité, apparemment banale et dont on nous rabattait les oreilles (du moins à mon époque) sur les bancs de l'école primaire, mais qui prend toute sa valeur sous la plume de certains auteurs et s'applique avec une remarquable précision à l'univers du photographe. Il s'agit de l'attention, cette force intérieure, que la philosophe Simone Weil définit comme un effort négatif : Vingt minutes d'attention intense et sans fatigue, dit-elle, valent infiniment mieux que trois heures de cette application aux sourcils froncés qui fait dire, avec le sentiment du devoir accompli : "j'ai bien travaillé". Aimé Forest, philosophe thomiste, faisait de l'attention comme détachement et oubli de soi la condition première de l'esprit métaphysique, qu'il définissait par l'esprit d'intériorité.

 

         On rejoint ici peut-être la réflexion la plus profonde de Roland Barthes lorsqu’il affirme, dans "La Chambre Claire", que plus qu'un autre art, la Photographie pose une présence immédiate au monde - une co-présence ; mais cette présence n'est pas seulement d'ordre politique ("participer par l'image aux événements contemporains"), elle est aussi d'ordre métaphysique. Flaubert se moquait (mais se moquait-il vraiment ?) de Bouvard et Pécuchet s'interrogeant sur le ciel, les étoiles, le temps, la vie, l'infini, etc. C'est ce genre de questions que me pose la Photographie : questions qui relèvent d'une métaphysique "bête", ou simple (ce sont les réponses qui sont compliquées) ; probablement la vraie métaphysique.

 

         Ainsi, lorsqu'Henri Cartier-Bresson nous dit être "attentif à la vie", loin d'être simpliste, ou relever d'une "niaiserie pour fin de séance de photo-club", la formule doit être prise extrêmement au sérieux.

La grande question alors, pour un auteur photographe au soir de sa vie, ne sera pas : "Ai-je assez travaillé" (je brocarderai encore une fois ici cette notion si stérile, et si imprégnée de pensée allemande, de fotoarbeiten), mais plutôt : "Ai-je été assez attentif".

 

       A l'opposé de cette attitude de réceptivité, d'attention et de présence au monde se situe le ZAPPING.

 

       Le zapping n'est pas seulement ce phénomène maladif d'insatisfaction télévisuelle de notre société infantilisée et grisée par la vitesse et par la technique. C’est aussi une dérive quasiment pathologique de nos comportements modernes augmentée par tous les facteurs d'inquiétude face au grand saut du 3° millénaire. Zapper, psychologiquement, consiste à couper brutalement et nerveusement le lien spirituel qui nous relie intentionnellement à l'autre, à l'être, dans un état d'anxiété ou de nervosité proche de celui qu’on éprouve en feuilletant un magazine dans la salle d'attente du dentiste, et que rien (aucune image) ne vient alors appaiser.

 

       Au bout du compte, le zapping serait peut-être la preuve, plutôt rassurante, de notre incapacité à fixer notre attention sur des choses trop futiles, dans une relation au monde trop superficielle, preuve aussi de nos limites et de la difficulté que nous éprouvons à combler par nous-mêmes les désirs les plus intimes de notre coeur.

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