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Dagmar Hochová, (1926-2012)

photographe tchèque

Un livre accompagnant l'exposition a été co-édité par le Château d'eau et les éditions Torst à cette occasion en Français et en Tchèque.

 

Commissaire d'exposition : Frédéric Ripoll

Tirages : Michel Paradinas

 

Cette exposition figure dans les Collections itinérantes du Château d'Eau 

Madame Hochova dans son appartement sous les toits à l'angle de l'avenue Resslova à Prague donnant sur la Vltava. On distingue au loin le château de Prague

Photographie : F. Ripoll 

Madame Hochova avec Jean Dieuzaide au vernissage de son exposition au Château d'Eau.

Photographie : Théo Caddau

L'exposition rétrospective des photographies de Madame Hochová a été présentée en avril 2000 par la Galerie du Château d'eau de Toulouse.

 

 

"C'est une chance unique et un privilège, pour quelqu'un qui con­sacre la plupart de son temps aux œuvres qui font l'histoire de la photographie, d'obtenir d'un auteur dans une confiance totale, l'autorisation de plonger dans l'intimité de son œuvre photogra­phique et de se voir confier le choix d'une rétrospective. 

Je connais Madame Hochová depuis ce mois de novembre 92 où nous sommes partis tous deux dans ma voiture, sous la neige, pour rendre visite à Jindrich Streit dans sa petite maison à côté du Château médiéval de Sovinec. Streit et Hochová, par leurs person­nalités attachantes et la qualité de leur regard, occupent une place à part dans la photographie tchèque contemporaine.

 

Aussi, lorsqu'en 1996 un critique, probablement pressé d'en fi­nir avec la «photographie de papa», avait déclaré dans un hebdo­madaire culturel pragois que Dagmar Hochová n'était pas une grande photographe, ma première réaction, impulsive, fut d'écrire à l'auteur de l'article une lettre incendiaire. Retourné au moins une fois par an à Prague depuis 1991, j'avoue à ma grande honte ne pas savoir encore demander l'heure dans cette belle langue tchèque. J'ai pourtant retenu par cœur ce proverbe, où se trouve concentré toute la patience, la sagesse teintée d'ironie, la douceur de ce peuple qui avait eu raison du totalitarisme par une révolution de velours: «Si tu es pressé, commence par t'asseoir».

Héritier d'une tradition critique qui est, avec la tradition culi­naire, le bon vin et la diversité des fromages, l'une des spécialités françaises, je décidais donc de répondre à cette critique négative par une critique réflexive, même si la tâche d'expliquer aujourd'hui une œuvre photographique peut paraître dépassée, tant il est con­venu, dans un consensus universel assez mou, qu 'on a définitive­ment tourné la page de la photographie et que l'ère rayonnante du subjectivisme absolu, consacré par l'alliance de l'art conceptuel et du multimédia, nous délivrerait de l'horrible oppression d'un réel qui n 'a plus rien à nous dire, en nous apportant la béatitude du monde virtuel, le «meilleur des mondes».

 

Aborder une œuvre comme celle de Hochová est assuré­ment déroutant. Le philosophe Bohuslav Blazek ne re­connaissait-il pas déjà, dans la monographie qu'il lui a consacrée en 1985, qu'il essayait en vain depuis 15 ans de comprendre le mystère des photographies de Hochovâ dans leur simplicité apparente.

Déjà en 83, une exposition de Hochová à Prague avait scandalisé les photographes amateurs. Ils demandaient de l'art et on leur montrait quelque chose qui à leurs yeux n'a­vait pas plus de consistance qu'un album de photos de fa­mille. C'est le même état d'esprit qui, dans les années 20 avait exclu Jaromir Funke et Josef Sudek de la plupart des organisations photographiques tchèques.

 

 

Les photographies de Dagmar Hochová ne sont simples qu'en apparence et finalement le reproche qu'on peut faire à ses détracteurs sera de ne pas avoir été assez attentifs. Même, et je dirai surtout à propos de ses photographies d'enfants, récurrentes dans toute son œuvre.

Mais le terme d'oeuvre est-il vraiment approprié ?

Esprit fin, pleine d'un bon sens bien enraciné dans la ter­re, Hochová a une personnalité forte, d'une authenticité à toute épreuve. On ne trouve chez elle pas la moindre trace de cette vanité si répandue chez les stakhanovistes de l'art contemporain où l'œuvre à peine sortie de son auteur, est encensée, sacralisée. Hochová partage avec Henri Cartier-Bresson v, dont elle se réclame souvent, cette conception de la photographie, qu'il exprimait en 1976 dans L'imaginaire d'après nature : «photographier, disait-il, est un moyen de comprendre qui ne peut se séparer des autres moyens d'ex­pression visuelle. C'est une façon de crier, de se libérer, non pas de prouver ni d'affirmer sa propre originalité. C'est une façon de vivre.»

 

Alors que chez Cartier-Bresson prime ce qu'il appelle «le sens de la géométrie» qui faisait de «l'instant décisif» un mélange de mystique bouddhiste et de tir à l'arc, avec Robert Doisneau4/, elle partage la faculté, qu'on ne trouve pas chez Cartier-Bresson, d'apprivoiser l'imprévisible avec une confiance enfantine, ce don de flirter avec l'inat­tendu qui, chez lui, relève de la magie blanche. Ce don de double vue du photographe qui rend la photographie in­classable, ou tout au moins difficile à cataloguer parmi les arts plastiques, Roland Barthes l'exprime parfaitement dans la Chambre Claire : «le photographe, tel un acrobate, doit défier les lois du probable ou même du possible».

En ce sens Hochová pourrait se situer dans la lignée de la grande photographie humaniste française. Il y a en effet chez elle la même éthique, la même répulsion pour la pho­to truquée ou mise en scène, la même liberté intérieure que chez Cartier-Bresson et aussi la même tendresse, ce même esprit d'enfance et de poésie qu'on trouve chez Robert Doisneau.

Pourtant, la comparaison avec Cartier-Bresson et Doisneau s'arrête là. D'abord parce que Hochová n'est pas française, mais viscéralement tchèque. Son regard est aus­si celui d'une femme et le regard qu'elle porte sur la digni­té de la femme, sur ses liens avec la terre peut être comparé à celui que Dorothea Lange portait sur la femme dans la campagne américaine au moment de la grande dépression des années 30.

Par ailleurs, Cartier-Bresson comme Doisneau jouis­saient d'une liberté de mouvement et de conditions tech­niques pour pratiquer la photographie que Hochová n'a ja­mais eues. N'étant pas dans la norme des artistes officiels, dans l'impossibilité de s'approvisionner en films photogra­phiques, elle a dû se résoudre à détourner des bandes de films de cinéma pour continuer à photographier. C'est ici peut-être qu'une approche critique de son travail photo­graphique prend toute sa valeur.

 

 

 

Cette soif de liberté trouve son apothéose pendant les événements de 1968 et de 1989 où les enfants sont encore présents.

Blazek dans son effort pour mieux comprendre l'œuvre de Hochová énumérait à juste titre les choses qu'elle photographiait et celles qu'elle ne photogra­phiait jamais.

 

On peut trouver un fil conducteur de ses photographies dans ce que j'appellerai une photogénie de l'esprit, qui serait l'essence de l'art photographique comme intuition poéti­que de la réalité. C'est aussi le résultat d'une démarche fon­damentalement simple qui trouve son expression parfaite dans cette profession de foi d'Henri Cartier-Bresson:«Je ne suis ni économiste, ni photographe de monuments et bien peu journaliste, disait-il dans la préface de son livre À pro­pos de l'U.R.S.S. Ce que je cherche surtout, c'est d'être attentif à la vie.»

Même s'il est sans complaisance sur ceux de sa généra­tion qui ont eu une responsabilité dans le système totalita­ire, le regard que Dagmar Hochová porte sur son pays qu'elle aime, et qui souffre, est souvent maternel. Toutes ses photographies contiennent une dynamique d'une incroya­ble vitalité, un jaillissement de vie, d'humour et d'ironie, une force intérieure dont toute l'énergie serait destinée à sortir le peuple tchèque de sa torpeur.

 

Jaromir Funke dont Dagmar était l'élève, dit un jour à son père qu'elle avait l'intelligence du regard.

Le monde de la photographie se partage entre voyants et voyeurs. On peut parler de «vision photographique» dès lors que le regard n'est plus prédateur ou calculateur mais intelligent et créateur.

Un tel regard implique une dimension d'intériorité que les philosophes médiévaux traduisaient d'un terme aujour­d'hui disparu: intelligere, intelliger, c'est-à-dire « lire par le dedans, de l'intérieur ».

On retrouve là un leitmotiv cher à Henri Cartier-Bresson: «Photographier, disait-il, c'est mettre l'esprit,l'œil et le cœur sur une ligne de mire.»

C'est à ce prix-là, grâce à cette exigence de l'esprit, que certaines des images les plus fortes de Dagmar Hochová s'arrachent d'elles-mêmes, et nous avec, de la banalité con­tingente. Elles nous animent, aurait dit Barthes, mais d'une toute autre façon que les images publicitaires. Elles nous jouent une certaine musique. Elles donnent de l'air à notre esprit étonné, et, du statut de simples photographies, accèdent à celui d'icônes.

 

 

Frédéric Ripoll,

 


 En-Calcat,1erjanvier 2000"

(Extrait du livre-catalogue de l'exposition)

Doisneau, on ne le rappelle pas assez, a pris ses photo­graphies les plus célèbres dans le Paris d'après la libération. De l'enthousiasme des quartiers populaires, il retirait une foi en l'homme qui confinait parfois à la naïveté, ce qui n'enlève rien à la qualité tendre et poétique de son regard.

Ainsi que le souligne Hana Proskovâ, pour photogra­phier sous une dictature il fallait autre chose que de l'en­thousiasme et un esprit sportif. Les tchèques n'avaient en effet aucun espoir de sortir du système totalitaire. Aucune naïveté donc chez Dagmar Hochová. Pourtant elle conti­nue de photographier, avec acharnement, mue par une né­cessité intérieure et vitale de trouver près d'elle des signes tangibles de vie et d'espoir.

 

C'est ainsi que dans la nuit noire et froide du communisme matérialiste, Hochová s'est faite pêcheuse d'étoiles filantes.

Ces signes fugitifs, elle les trouve essentiellement parmi les enfants, qui n'ont rien à prouver et parmi les anciens, qui n'ont rien à perdre. Les enfants, acteurs tragi-comiques d'une commedia dell'arte dont elle s'est faite la complice, ont une fonction multiple.

Totalement étrangers au système totalitaire, ils sont une source inépuisable de féerie. Leurs jeux, pas toujours in­nocents, sont parfois la figure grimaçante du monde des adultes.

 

Associés souvent à une grand-mère, ils semblent assumer avec sérieux le lien avec les générations passées. Toutes ces thématiques ont bien sûr une valeur symbolique et allégo­rique forte. Il existe une troisième catégorie qui n'a rien à prouver, et rien à perdre : les bonnes sœurs, parquées en pleine campagne avec des handicapés.

Tous ces gens ont une caractéristique commune: ils sont inutiles à la construction du rêve socialiste.

Cette même quête vers ce qui porte la marque de l'esprit et de la libre créativité a conduit naturellement la photographe vers les artistes, poètes, intellectuels ou philosophes qu'elle rencontrait en accompagnant Blazek au cours de ses inter­views. On retrouve là aussi une démarche parallèle à celle de Cartier-Bresson qui a porté très haut le genre du portrait non académique, par cette exigence d'une ressemblance spi­rituelle: «Un des caractères émouvants du portrait, disait-il, c'est aussi de retrouver la similitude des hommes, leur conti­nuité à travers tout ce qui décrit leur milieu».

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