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LA NORIA n° 8 -   

Le Portrait Photographique

 

 

 

   Fascinants portraits photographiques ... peut-être le domaine le plus mystérieux exploré par les photographes et vraisemblablement celui où ils peuvent mettre le meilleur de leur art, ou d'eux-mêmes, ou des deux.

Pas de portrait sans visage.

 

     Le visage étant la synthèse de l'homme, c'est aussi par lui que s'exprime l'âme. "Une porte ouverte sur l'âme" dit-on couramment ..."Ce visage, disait Henri Bars, que je rencontre parfois dans un miroir comme celui d'un étranger et que je me suis façonné de l'intérieur, sans le savoir, du sang de mes parents, du climat de mon pays et de l'usage de ma liberté". 

Les traités d'esthétique du Moyen-Age distinguaient deux expressions de l'idée dans l'oeuvre : "l'ymage" et "le pourtrait". A cette époque hautement spirituelle, l'oeuvre d'imagination et l'oeuvre d'imitation s'interpénétraient harmonieusement dans l'oeuvre d'art.  La photographie a bouleversé cette règle en rassemblant tout dans le déclic guillotineur et la diaphanéité d'un "objectif". C'est peut-être dans le portrait photographié que nous prenons conscience réellement d'un élément spirituel inscrit dans le sensible. A ses débuts, quelques fougueux poètes comme Baudelaire fustigeaient ceux qui rendaient vulgaire l'usage du portrait photographique. Son libelle est devenu célèbre : "... la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal".

 

     Aujourd'hui, dans le raz-de-marée matérialiste qui caractérise cette fin de siècle on ne se rue plus et il est même probable qu'on s'admire moins qu'au XIX°, ce qui est un vrai progrès.

  L'homme moderne, fatigué, gavé d'images fabriquées aux références artificielles, en arrive de moins en moins à se laisser tirer le portrait pour immortaliser son image. N'ayant plus confiance en sa propre image, il s'obstine à en "travailler" une toute neuve, à des fins utilitaires.

  

     Aujourd'hui deux grandes catégories de faiseurs d'images : le publiciste et l'artiste de la modernité, se contorsionnent encore pour arriver à croire que l'âme est une vieillerie tout juste bonne à alimenter les rêves des poètes.                                               

 

    Les premiers, fabricateurs d'idoles, pratiquent une forme d'angélisme largement propagée par les magazines de mode où le modèle doit laisser son âme au vestiaire. Le "pourtrait" y est évacué au profit de "l'ymage", et on dira, dans le jargon consacré du photographe de studio, que "c'est bon dans l'image".

 

 

    Les seconds, insatisfaits, sont les victimes des premiers. Par une juste réaction, ils prennent le contre-pied de la flatterie publicitaire mais ne font que tomber dans l'excès inverse qui consiste à se flageller en déchirant, défigurant ou détruisant matériellement l'image de l'homme.

         Il ne reste plus au photographe en quête de portraits naturels que deux solutions : photographier les enfants ou les vieillards, les premiers n'ayant rien à cacher, les seconds rien à perdre.

Ou encore jouer les ethno-photographes dans les campagnes reculées ou les contrées sauvages pour y découvrir quelques individus encore près des choses de la nature, qui accepteront spontanément de leur abandonner un instantané d'eux-mêmes qui ne soit ni ange, ni bête.

 

Frédéric Ripoll

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